Les nouvelles technologies : un test pour la démocratie

image-30-juin-bis

J’ai vécu la révolution numérique assez tardivement acquérant mon premier iPhone en 2014 en m’installant à New-York. Ma vie en a été totalement bouleversée. Google map m’a permis de trouver n’importe quelle adresse, l’application Metro m’a rendue indépendante, celle d’Airbnb de trouver un logement et Currency de connaitre le cours du change au moment de faire un achat. J’ai pu écouter de la musique sur iTunes, lire sur Kindle, et gérer mes rendez-vous d’un siège de taxi sur l’email intégré de mon téléphone. Je pouvais prendre des photos sur le pouce que je partageais ensuite instantanément sur Facebook et converser en direct sur WhatsApp avec mes proches sur un autre continent. Pour trouver une information, internet n’était pas plus éloigné que la poche de ma veste.

Les nouvelles technologies m’ont offert une autonomie grisante et permis de monter une affaire de façon fluide et surtout, rapide !

Mot clé, la rapidité est le prix à payer pour l’hyper-connectivité. Pour nous tous, le rythme s’est accéléré. Joignable en tout temps par email ou téléphone, la pression s’est accentuée sur le monde du travail. Le rythme est devenu si soutenu que la période de quarantaine due à la pandémie a secrètement été accueillie avec soulagement par de nombreuses personnes soumises à un rythme devenu infernal.

Ainsi, les nouvelles technologies, qui nous offrent une autonomie magnifique, ont dévoilé un autre versant, plus sombre et plus difficile à gérer : celui de la dépendance. La soumission au rythme accéléré du monde et à l’impératif d’une productivité et d’une efficacité exponentielles, à tous les niveaux et dans tous les secteurs de la société d’une part. La soumission aux GAFA d’autre part, ces quatre entreprises les plus puissantes du monde de l’internet (Google, Apple, Facebook et Amazon) qui collectent de nombreuses données personnelles minute après minute vis WhatsApp, nos payements par carte, notre GPS, nos multiples applications et nos recherches internet.

Un nouveau tournant technologique est pris aujourd’hui avec une toute dernière innovation, l’application Covid de traçage de la population pour enrayer la pandémie. Elle est mise en place en Suisse, mais aussi en France, en Autriche, en Islande et à Singapour. Une étape cruciale puisqu’elle ne provient pas d’un géant privé des GAFA, mais de l’État lui-même, ce qui est très différent. Ouvre-t-elle l’ère de la surveillance généralisée des citoyens par l’Etat puisqu’elle permet potentiellement de nous identifier, de nous localiser, nous ainsi que les lieux et les personnes que nous fréquentons ? Est-elle un premier pas vers la visibilité absolue ? Augure-t-elle la fin de notre liberté ?

Pour l’économiste et historien Nicolas Bavarez, « La technologie n’est ni liberticide ni incompatible avec l’état de droit, à l’image des démocraties d’Asie, telles que la Corée du Sud, Taiwan et le Japon qui ont su faire face à la crise en conjuguant anticipation et agilité des pouvoirs publics, utilisation responsable des technologies, respect de l’Etat de droit et mobilisation des citoyens ». Il est vrai que dans la démocratique Corée du Sud, par exemple, l’application et la base de données sont gérées en dehors du gouvernement. Il n’y a pas de traçage individuel ou collectif. Les accès aux données sont cantonnés et contrôlés.

Mais ce n’est pas le cas dans la très non-démocratique Chine où Xi Jinping a saisi l’occasion de renforcer son système de surveillance via le croisement des données de santé et de la géolocalisation. Cette Chine qui a mis en place depuis deux ans déjà une stratégie globale de surveillance de masse à l’aide des nouvelles technologies. Elle les utilise pour la géolocalisation (via la reconnaissance faciale), mais aussi pour stocker d’autres données telles que l’analyse des comportements, le mode de vie, les opinions politiques, les habitudes d’achat et des informations sur l’état émotionnel de ses citoyens. Ces données sont aujourd’hui utilisées pour autoriser ou non l’accès à certains services, (un restaurant ou un magasin un diplôme, un crédit, un passeport etc..).

Nos sociétés démocratiques sont des garde-fous à une telle dérive mais la Chine n’est pas un cas isolé. Selon la Fondation Carnegie pour la Paix Internationale, « la technologie de surveillance globale de l’intelligence artificielle prolifère de façon rapide dans un nombre croissant d’Etats pour recenser, suivre et surveiller les citoyens afin d’atteindre un éventail d’objectifs politiques certains légaux, d’autres qui violent les droits de l’homme et dont beaucoup tombent en milieu trouble ».

Le mois dernier, le milliardaire Elon Musk a devancé les États et place en orbite son projet Starlink, à terme des dizaines de milliers de petits satellites, afin de pourvoir en internet les zones les plus reculées de la planète, devançant Amazon, Oneweb, Link et Facebook qui travaillent sur des projets similaires. Autant dire que les nouvelles technologies seront très bientôt incontournables où que l’on se trouve sur la planète.

Leur impact écologique n’est pas négligeable non plus. La pollution de l’espace due à la multiplication des satellites entraine aussi au sol le déploiement inévitable des antennes 5G sans lesquelles ces nouvelles technologies, application COVID comprise, ne peuvent pas fonctionner.

Les risques liés au traçage des contacts sont donc nombreux : danger que les données récoltées soient utilisées à d’autres fins – ou reliées à d’autres données pour identifier et éventuellement profiler davantage les personnes, ainsi que le risque toujours présent d’une fuite de données ou d’une cyber-attaque. Risque que cette application soit obligatoire dans un autre pays que nous souhaitons visiter et qui ne garantit pas la protection des données. Risque enfin que la surveillance numérique soit si efficace que les pouvoirs publics y reviendraient à la première occasion pour contrer une autre menace, à commencer par celle du terrorisme, justifiant ainsi la poursuite du contrôle des citoyens, jusqu’à ce que ce contrôle devienne la norme.

Mais peut-on au final aller contre l’évolution technologique ? Il est peut-être illusoire de s’opposer à l’avancée de la science. L’application COVID n’est qu’un élément isolé dans tout un arsenal de moyens numériques. Parmi ceux-ci on peut mentionner la technologie « smart city », c’est-à-dire des villes dotées de capteurs qui transmettent des données en temps réel pour faciliter la gestion des villes et la sécurité publique, celle de la « smart police », un ensemble de technologies analytiques pour faciliter les enquêtes et interventions de la police et prévenir les crimes futurs ainsi que la technologie de reconnaissance des sentiments via la reconnaissance faciale des foules. Tous ces outils sont déjà mis en place dans environ 60% du monde, dont la France, l’Italie et d’autres Etats européens.

Il nous faudra en fin de compte agir comme nous l’avons toujours fait. Se renseigner, s’informer développer notre discernement et notre vigilance. Le monde qui se dessine sous nos yeux est celui d’une révolution en marche qui va continuer de bouleverser nos habitudes et notre mode de vie, agrandir notre champ d’action et nous obliger, en tant que citoyen, d’user de nos droits civiques, et défendre encore et toujours nos libertés individuelles et le respect de notre sphère privée. Au final, notre seul rempart sont des institutions démocratiques fortes, transparentes et saines.

Virginie Claret

Virginie Claret est une journaliste freelance qui publie régulièrement dans différentes publications en Suisse et à l’étranger

le clusis