Futurs numériques : quelles trajectoires ? Scénarios prospectifs pour 2030-2035

Rapport d’orientation stratégique 2021 du CIGREF

Depuis 2019, le Cigref a engagé un cycle de réflexion stratégique et prospective pour analyser les tendances majeures du numérique dans les grandes entreprises et administrations publiques à l’horizon de la prochaine décennie. Nous avons mené ces travaux afin de nous projeter dans l’avenir, d’éclairer, le cas échéant, la prise de décision de nos membres et de faire émerger les  thématiques pertinentes pour nos travaux collectifs. En effet, cette démarche d’orientation stratégique, engagée sur un rythme désormais annuel dans un contexte d’accélération des mutations et d’incertitude grandissante, est l’un des principaux outils de structuration des travaux d’intelligence collective que notre association organise et anime au profit de ses membres. Elle permet par ailleurs au Cigref de s’inscrire dans le paysage des cercles de réflexion où se développe une pensée originale sur la préparation des futurs numériques.

Le précédent cycle sur lequel cette nouvelle édition s’appuie s’était conclu en octobre dernier par la publication du premier Rapport d’orientation stratégique 2020 du Cigref, à l’occasion de son Assemblée générale. Ce précédent rapport prospectif s’articulait autour de cinq grands thèmes, les « champs de transformation », explorés sous différents aspects : leurs tendances structurantes,
les phénomènes émergents susceptibles de les transformer, les incertitudes majeures, et les phénomènes à faible probabilité mais ayant un impact majeur s’ils survenaient. Ces cinq champs de transformation identifiés abordaient ainsi les enjeux technologiques et les nouveaux usages, les défis environnementaux, la croissance de la cybermenace et les nouveaux enjeux géopolitiques,
la modification accélérée des attentes du marché, les stratégies complexes des fournisseurs de  produits et services numériques, ainsi que les nouvelles modalités de travail et d’engagement. Ils avaient été choisis méthodiquement par le Conseil d’orientation stratégique et le Conseil d’administration du Cigref.

Ce deuxième cycle de réflexion stratégique et prospective s’achève en octobre 2021, avec la publication de ce nouveau rapport qui a pour vocation de prolonger et compléter le précédent. Ce processus incrémental permet de capitaliser sur le travail de l’année précédente et de poursuivre l’exercice prospectif que nous avions engagé. Il comprend deux grandes parties. La première, consacrée à la veille stratégique, se présente comme une actualisation des champs de transformation identifiés dans le Rapport d’orientation stratégique 2020.

La deuxième partie de ce rapport propose plusieurs scénarios décrivant des futurs possibles. Ces scénarios permettent de décrire des futurs contrastés, sous différentes formes – idéal, catastrophique, alternatif ou tendanciel – et d’étudier les processus d’évolution qui conduisent à l’une ou à l’autre de ces situations. Ils prennent en compte différents contextes – géopolitique, économique, technologique et social – auxquels les entreprises pourraient être confrontées dans dix ou quinze ans. Cette méthode de raisonnement prospectif s’adresse tout particulièrement à  des décideurs qui doivent anticiper le futur pour poser des choix éclairés dans leurs pratiques professionnelles.

La méthode de construction de scénarios des mondes numériques à l’horizon 2030-2035 s’est appuyée sur l’identification de questionnements clés qui pouvaient varier en fonction des hypothèses envisagées. Les scénarios ont ainsi été dessinés en combinant plusieurs hypothèses compatibles entre elles. Ils ont ensuite été soumis au Conseil d’orientation stratégique et à nos organisations membres lors du Séminaire de Printemps du Cigref, temps privilégié d’échange et de réflexion sur les futurs plausibles, organisé au profit des membres de notre association. Ces quatre projets de  scénarios ont été élaborés en partenariat avec Futuribles, cabinet spécialisé dans les activités de prospective. Il est le garant de la rigueur méthodologique de notre démarche, et je les en remercie vivement.

Nous avons également sollicité des auteurs de fiction pour écrire des nouvelles d’anticipation afin d’incarner par des oeuvres originales cette édition 2021. Inspirés par les scénarios, ces différents récits d’avenir nous plongent ainsi dans ces futurs possibles abordés sous un angle de vue particulier, en mettant en lumière certains enjeux de demain (sans souci de prédiction, d’exhaustivité, ni  de réalisme) et permettent d’élargir le regard que nous portons sur ces futurs possibles. Notre ambition était donc de publier quatre nouvelles ne dépassant pas trois à cinq pages, ambition à  laquelle n’ont pas réussi à s’astreindre tous les auteurs, mais que nous publions cependant compte tenu de leur caractère illustratif et original des scénarios. Vous les retrouverez à la fin de chaque scénario dont la nouvelle s’est inspirée.

Je vous souhaite une excellente lecture de ce Rapport d’orientation stratégique 2021, à découvrir probablement en plusieurs fois au vu de sa densité, qui complète et élargit la réflexion de la  première édition que je vous invite également à parcourir de nouveau à l’occasion, car elle reste tout à fait d’actualité.

Bernard Duverneuil, Président du Cigref

Executive Summary

Le Rapport d’orientation stratégique (ROS) 2021 du Cigref s’inscrit dans la lignée du ROS 2020. En ce sens, ce document est, simultanément, le prolongement du rapport précédent et une brique supplémentaire à la réflexion stratégique du Cigref pour définir ses activités et son plan de travail. Ainsi s’articule-t-il autour de deux parties complémentaires : l’une de veille prospective et l’autre de scénarios pour les futurs numériques.

Partie 01.
Veille prospective

Cette partie propose une veille prospective sur les cinq grands champs de transformation du numérique identifiés en 2020. Pour mémoire, le Cigref a choisi, dans le premier ROS, de concentrer sa réflexion sur cinq thématiques clés couvrant largement les différentes facettes du numérique et identifiant leurs divers enjeux.

Sans prétention à  l’exhaustivité, cette sélection espère toutefois offrir une approche transversale de l’objet d’étude protéiforme qu’est le numérique, et ce afin de nourrir les travaux du Cigref, mais aussi avec pour ambition de renseigner ses membres sur les évolutions majeures auxquelles se préparer. C’est dans cette même optique que chacun de ces champs thématiques a été actualisé en 2021. Là encore, loin d’être exhaustive, cette actualisation prospective s’appuie néanmoins sur une veille rigoureuse, des entretiens avec les experts membres du Comité d’orientation stratégique  et cherche à rendre compte des préoccupations principales des membres du Cigref pour les 10-15 ans à venir. En voici les grandes lignes.

Champ 1. Enjeux technologiques et nouveaux usages

Un certain nombre de pratiques numériques se sont accélérées et l’usage de plusieurs outils s’est intensifié en réaction à la crise sanitaire (le cloud computing notamment). Les efforts de R&D déployés à l’échelle mondiale sur des technologies possiblement révolutionnaires (informatique quantique…) n’ont cessé de se renforcer. En parallèle, s’exprime une difficile recherche d’équilibre entre monde physique et monde virtuel après plus d’un an de distanciation physique, de même qu’un tâtonnement législatif en matière de régulation des pratiques en ligne, parfois abusives.

Champ 2. Numérique et environnement

Face aux ruptures climatiques majeures que s’apprête à vivre le monde moderne, le numérique n’est bien évidemment ni la panacée absolue, ni la cause unique de tous ces maux. Mais il a son rôle
à jouer et est au coeur de plusieurs grands enjeux détaillés dans ce champ : optimisation énergétique et régulation des usages, disponibilité des terres rares et des matières premières, approches
coopératives et systématisées des grands risques du 21e siècle, tout en évitant le spectre de la surveillance de masse…

Champ 3. Risques cyber et enjeux géopolitiques

Le nombre, la diversité et l’intensité des cyberattaques n’ont fait que croître en 2020-2021, révélant l’industrialisation massive du champ cyber. En parallèle, les États s’affrontent à grand renfort de lois autour de conceptions divergentes de la protection des données (personnelles et industrielles). Sont évoquées dans ce champ les réglementations européennes, chinoises, russes ou encore  indiennes qui posent le cadre de nouvelles approches du cyber et de ses risques.

Champ 4. Fournisseurs et services numériques

Le fort développement de services numériques, sous influence de la crise sanitaire, a conforté la position hégémonique des leaders en la matière (Google, Microsoft, Amazon, Baidu…). Face à la puissance croissante de ces grandes plateformes, les gouvernements sont partagés entre une régulation plus stricte de leurs activités et leur crainte de les fragiliser et ainsi de perdre en  compétitivité et leadership technologique. Cette situation est renforcée du fait que ces plateformes sont essentiellement américaines et chinoises et jouent un rôle important dans le bras de fer numérique opposant leurs gouvernements respectifs. Dans cette lutte, l’Union européenne cherche à se tailler une place, en structurant, notamment, un espace de mutualisation de données et de développement de cas d’usages innovants. Dans ce champ 4, sont détaillées quelques-unes des procédures législatives européennes les plus importantes sur ces questions.

Champ 5. Nouvelles formes de travail et engagement des collaborateurs

Si certaines transformations vécues dans le cadre de la crise sanitaire pourront s’avérer conjoncturelles, d’autres sont susceptibles, en revanche, de s’inscrire dans le temps long et de transformer  les pratiques de recrutement, de formation, de management, d’organisation des entreprises et de leurs écosystèmes, jusqu’à leur possible plateformisation. Dans les prochaines années, le droit du travail pourrait alors lui aussi évoluer fortement.

Partie 02.
Quatre scénarios pour les futurs numériques à l’horizon 2030-2035

À la suite de cette veille prospective, la seconde partie a donc pour ambition de proposer quatre scénarios des futurs numériques à horizon 2030-2035. Ces scénarios cherchent à présenter quelques archétypes de mondes possibles, en articulant, entre autres sources, les différents éléments identifiés au cours de la veille. Bien sûr, d’autres configurations sont envisageables. Mais les figures de l’avenir proposées ici permettent d’encadrer la réflexion sur les grands enjeux des 10-15 ans à venir et de mesurer, pour chaque scénario, leurs implications pour les entreprises et les organisations. Dans cette deuxième partie, de courtes nouvelles d’anticipation sont aussi proposées au lecteur. Inspirées par les scénarios prospectifs, elles permettent d’élargir nos visions des  futurs possibles.

Scénario 1. Mondialisation régulée par les équilibres géopolitiques

Le premier scénario fait le pari d’un monde où la crise sanitaire aura servi de déclic et de prise de conscience pour les États comme pour leurs populations de la nécessité de se préparer aux défis environnementaux et sanitaires du 21e siècle. Les interdépendances économiques et les enjeux de gestion de crise, communs aux différents pays, favoriseraient alors le développement d’échanges politiques et commerciaux entre les acteurs (publics comme privés), selon une réelle logique d’intérêt général.

Scénario 2. Vers une « Europe puissance » dans un monde régionalisé

Dans ce scénario, les échanges économiques et les systèmes de normes (sanitaires, juridiques, commerciales…) se restructurent à l’échelle de grandes plaques régionales. Cette fragmentation du commerce international et des lois résulte de profondes divergences entre États en matière de gestion de crise (sanitaire, environnementale), mais aussi de découplage des trajectoires  socioéconomiques des pays, suite à la pandémie Covid et de ses répercussions.

Scénario 3. Une Chine conquérante dans un monde bipolaire

Ce scénario illustre une trajectoire dans laquelle la Chine parvient à s’affirmer comme leader des échanges internationaux. Dans un contexte sanitaire et environnemental très instable en 2030-2035, le pays promeut, en effet, son modèle de gestion de crises et se positionne comme partenaire de choix en matière de services, de solutions et d’infrastructures auprès des pays les plus  en difficulté. Cette montée en puissance accélérée de la Chine exacerbe les tensions avec les États-Unis. Ce bras de fer impacte de nombreux pays du monde devant choisir leur camp. Divisée et fragilisée, l’Europe n’affirme pas sa « troisième voie ».

Scénario 4. Far West, colonies digitales et cartels numériques

Ce dernier scénario propose une immersion dans un monde profondément bouleversé par les impacts du changement climatique à horizon 2030-2035. Très fragilisés par leur endettement, de nombreux États ne sont plus en mesure de s’y préparer. Les géants du numérique, relativement préservés par la crise économique et pourvus d’immenses capitaux financiers, profitent alors de cette situation pour s’affirmer comme pourvoyeurs de solutions globales à l’attention des gouvernements, d’autres entreprises, voire des citoyens, et étendent même leurs services pour remplir certaines fonctions régaliennes des États.

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Source: CIGREF

 

 

 

 

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